Parenté à plaisanterie, un facteur de paix et de cohésion sociale en Afrique de l’ouest

Article : Parenté à plaisanterie, un facteur de paix et de cohésion sociale en Afrique de l’ouest
Crédit: Lefaso.net
17 octobre 2022

Parenté à plaisanterie, un facteur de paix et de cohésion sociale en Afrique de l’ouest

La parenté à plaisanterie est une coutume ancestrale très présente en Afrique de l’ouest. Il s’agit d’une tradition orale dont le but est de désamorcer les tensions entre ethnies et clans familiaux, elle prend la forme d’affrontements verbaux mais reste toujours sans conséquence. Dans ce billet, je vais particulièrement évoquer le cas du Burkina Faso où la parenté à plaisanterie est très ancrée dans leur coutume.

Le Burkina Faso, un terrain de jeu pour la parenté à plaisanterie

Le Burkina Faso, pays sahélien de l’Afrique de l’ouest, compte une soixantaine d’ethnies et la parenté à plaisanterie une pratique légendaire est très ancrée dans leur coutume. Cette pratique se décline entre membre d’ethnie, entre patronyme mais aussi entre territoire tel que les régions, les provinces ou encore les villages. Elle permet au Burkina Faso d’apaiser efficacement des tensions sociales.

Faut-il mettre des limites à la parenté à plaisanterie? Crédit: AIB

Les types de parenté à plaisanterie

Parmi les parentés à plaisanteries, les plus pratiquées au quotidien sont celles qui lient les Bobo et les Peuls, les Bissa au Gourounsi ou encore les Samo et les Mossi, les Yadga aux Gourmantché. Ces dialogues moqueurs dont les relations font appel à des caractères spécifiques de ces ethnies souvent liée aux habitudes alimentaires, ou encore à leur mode de vie.

Carte de la répartition des groupes au Burkina Faso. Crédit: Nouvelle Afrique

Dans les maquis ou les Grains à Ouagadougou, les burkinabè prennent le plaisir à se lancer des piques. Un dimanche après-midi dans un maquis de Wayalguin, un des quartiers de Ouagadougou, la bière locale mousse dans les verres du restaurant sur fond d’odeur des brochettes grillées. Sous l’œil amusé du serveur, le ton monte entre deux clients. « Toi le Yadga mangeur de riz, tu es mon esclave! », invective le premier avant de s’entendre rétorquer un définitif:  » Et vous les Gourmantché avec votre sorcellerie, vous n’êtes que des escrocs ».

Au Burkina Faso, que ce soit entre amis, dans la rue, au travail et même jusque dans les couloirs de conférences officielles, on n’hésite pas à s’envoyer des piques, parfois très acérés, déclenchant des scènes souvent cocasses. On aime à raconter que, lors d’un sommet de haut rang, le président rwandais s’était étonné de voir le maître de cérémonie chambrer son homologue Blaise Compaoré. « C’est un Samo, il peut même m’enlever mes chaussures s’il le souhaite ! », lui aurait rétorqué l’ancien dirigeant burkinabé, en riant. Plus qu’un simple jeu, le rakiiré, art de la rhétorique et de la dérision, est considéré par les universitaires comme un outil de décrispation et de cohésion sociale.

Quels rôles joue la parenté à plaisanterie ?

La parenté à plaisanterie ne connaît pas de limite dans sa pratique, que représente-t-elle encore pour les burkinabè ? Comment cette pratique dite séculaire commémorée tous les ans par diverses communautés arrive-t-elle à favoriser le vivre ensemble ? Quelle est sa place dans le dialogue social actuel au pays des hommes intègres ?

Dans bons nombres des pays d’Afrique de l’ouest particulièrement au Burkina Faso la parenté à plaisanterie à toujours favoriser la gestion sociale des différentes sources de conflit et des tensions, facteur de réconciliation et cohésion sociale, elle est au service d’une paix qui se veut durable. Par exemple une parenté à plaisanterie peut se moquer d’une personne morte le jour de ses funérailles.

Selon l’histoire de la tête de chien entre les Bissa et les Samo, deux frères raffolaient de viande de chien ; ils aimaient l’un et l’autre manger plus particulièrement la tête de cet animal. Après des discussions âpres, et n’arrivant pas à s’accorder sur qui devait garder cette partie précieuse d’un chien qu’ils avaient abattu, ils en vinrent à se bagarrer, et « se séparèrent ainsi, pour une tête de chien ! » Et depuis, Bissa et Samo, issus de ces deux frères, se rejettent les uns sur les autres la responsabilité de l’éclatement de leur unité familiale initiale. Les autres groupes ethniques ne manquent pas d’ailleurs une occasion de le leur rappeler, pour les tourner en dérision.

La compréhension de cette histoire repose sur la connaissance de la représentation du rôle et de la place du chien dans les sociétés de tradition orale : il n’est pas l’animal choyé et chouchouté, comme c’est le cas sous d’autres cieux. Il garde la maison, il accompagne à la chasse et lorsqu’il devient vieux ou même enragé, on le tue et on le mange. De fait, la banalité de l’histoire et son contenu drôle montrent la futilité des motifs qui, bien souvent, opposent les hommes et les conduisent à des conflits. La forme des relations de plaisanteries dans le cas des Bissa et des Samo est moins violente, car il s’agit de « parenté » à l’origine entre les deux ethnies. Ils ont encore en mémoire le souvenir amer de leur séparation et de leur désunion pour si peu de chose ; bien plus, ils ressentent maintenant cruellement le besoin, mais hélas, peine perdue, de se rassembler à nouveau en une même « famille ». C’est pourquoi, très souvent, les éléments de chacun de ces groupes ethniques, lorsqu’ils se rencontrent, s’appellent du surnom affectueux de « cousins ».

La parenté à plaisanterie permet de pacifier, rendre agréable la journée, faire en sorte que ce qui parait difficile passe sans problème.

La parenté à plaisanterie et enjeux contemporains

Dans un contexte de mondialisation, il paraîtrait important d’envisager la prise en compte de la parenté à plaisanterie dans les programmes d’éducation pour enseigner à la génération future et perpétuer cette pratique ancestrale, facteur de paix et de cohésion sociale en Afrique.

De ce qui est attendu de la parenté à plaisanterie pour le bien être des humains on peut retenir trois aspects essentiels à savoir : un rôle de régulateur de tensions sociales, un facteur d’intégration des populations et un support d’entraide et de solidarité.

La parenté à plaisanterie intervient dans les mécanismes de prévention des conflits à travers : des jeux oraux qui sont dans leurs formes, humoristiques, ainsi que des plaisanteries pour rire, se divertir et se défouler.

Pour les individus des groupes alliés, chaque fois qu’ils se rencontrent, ils font semblant d’entrer en conflit.

Il s’agit aussi de contribuer à atténuer les pressions psychologiques et aurait une vertu thérapeutique au sens ou la plaisanterie devient un jeu qui permet de jouer au fou pour prévenir la vraie folie;

Dans la plaisanterie « L’on instaure de façon ostentatoire la guerre verbale et gestuelle pour ne pas arriver à la vraie guerre, destructive des biens et des personnes. »

Les plaisanteries qu’échangent les alliés contribuent à détendre l’atmosphère, à rétablir la confiance, toutes choses indispensables au dialogue. Pour plusieurs auteurs burkinabè, ces relations sont une stratégie réparatrice de vieux conflits entre communautés.

Le rôle de ces relations étant de panser ces plaies par le biais de la violence de type cathartique. Le mot ‘’esclave’’ est assez souvent utilisé pour désigner l’allié à plaisanterie dans les différentes langues. Une façon de ne plus revenir sur l’esclave réel ?

Chez les mossis du Burkina la plaisanterie embellie la vie. « Sans rakiire, l’existence serait sans attrait » dit-on. Ici on prend plaisir à taquiner et à se faire taquiner si bien que le phénomène se fait omniprésent dans les regroupements de personnes.

On oublie même souvent les prénoms des individus pour les interpeller par leur ethnie d’appartenance ou leur clan d’origine.

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