Tchad : Pourquoi la démocratie des armes l’emporte-t-elle toujours sur la démocratie des urnes ?

Article : Tchad : Pourquoi la démocratie des armes l’emporte-t-elle toujours sur la démocratie des urnes ?
Crédit: © AFP - DENIS SASSOU GUEIPEUR
6 août 2024

Tchad : Pourquoi la démocratie des armes l’emporte-t-elle toujours sur la démocratie des urnes ?

Le Tchad, pays d’Afrique centrale riche en histoire et en ressources naturelles, est marqué par une instabilité politique chronique depuis son indépendance en 1960. Les récentes élections présidentielles ont vu la victoire du président sortant, Mahamat Idriss Itno, fils de l’ancien président, le défunt maréchal Idriss Deby Itno.

La victoire de Mahamat Idriss Itno n’a surpris personne, car les craintes d’une succession dynastique étaient omniprésentes depuis le début de la transition. Ce phénomène soulève une question cruciale : pourquoi la démocratie des armes l’emporte-t-elle toujours sur la démocratie des urnes au Tchad ?

Des combattants tchadiens se présentent à l’élection présidentielle de 2024 © Moussa Alou COULIBALY

La force militaire comme boussole

Depuis que le Tchad est devenu indépendant, le pays n’a jamais connu d’élection véritablement libres et transparentes. Les régimes successifs ont souvent utilisé la force militaire pour s’imposer, marginalisant ainsi la volonté populaire exprimée par les urnes. Cette dynamique a créé un cycle où le pouvoir est maintenu par la force, plutôt que par le consentement des gouvernés.

Les racines de la démocratie des armes

Le Tchad a été le théâtre de nombreux conflits internes et coups d’Etat, créant un environnement où le pouvoir militaire prime sur les processus démocratiques. Les rivalités ethniques et régionales exacerbent cette instabilité, chaque groupe cherchant à contrôler l’appareil d’Etat par tous les moyens.

L’armée tchadienne joue un rôle central dans la politique du pays. Depuis les années 1990, avec l’arrivée au pouvoir d’Idriss Déby Itno, l’armée est devenue un pilier du régime, garantissant la stabilité du pouvoir en place et réprimant toute opposition. Cette militarisation de la politique a façonné une culture où la force est perçue comme le moyen le plus efficace de gouverner.

Le Tchad souffre d’une faiblesse chronique. Les institutions démocratiques, telles que les partis politiques, le parlement, et le système judiciaire, manquent d’indépendance et de pouvoir réel. Cette fragilité institutionnelle empêche le développement d’un cadre démocratique robuste où les élections pourraient se dérouler de manière libre et équitable.

Le cas de Mahamat Idriss Déby Itno

Mahamat Idriss Deby Itno, assiste aux célébrations de la 63e fête de l’indépendance à Ndjamena, le 11 août 2023. © Denis Sassou Gueipeur / AFP

L’accession au pouvoir de Mahamat Idriss Déby Itno, suite au décès de son père, illustre parfaitement la prévalence de la démocratie des armes sur celle des urnes. En avril 2021, après la mort d’Idriss Déby Itno sur le front, un conseil militaire de transition dirigé par son fils a immédiatement pris le contrôle du pays. Cette transition militaire a été perçue comme une continuité du régime précèdent, renforçant l’idée d’une succession dynastique.

Malgré les promesses de transition vers un gouvernement civil, les élections présidentielles de 2024 n’ont fait que confirmer les craintes d’une dynastie en devenir. La victoire de Mahamat Idriss Déby Itno a été largement anticipée, la population tchadienne étant résignée à accepter que les véritables leviers du pouvoir restent entre les mains de l’armée et de la famille Déby.

Pourquoi la démocratie des armes persiste-t-elle ?

La longue histoire de conflits et de régimes militaires au Tchad a engendré une culture politique où la force est légitimée comme moyen de gouvernance. Les populations habituées à des décennies de régimes autoritaires, ont peu de foi dans les processus électoraux.

Toute tentative d’opposition est rapidement réprimée par le régime en place. Les partis d’opposition et les mouvements civils font face à des restrictions sévères, des arrestations arbitraires et une surveillance constante, limitant leur capacité à mobiliser et à participer efficacement aux élections.

Le Tchad reçoit un soutien international considérable, notamment de la France et des états unis, en raison de sa position stratégique dans la lutte contre le terrorisme dans la région du sahel. Ce soutien militaire et financier renforce le pouvoir en place, même s’il n’est pas démocratiquement élu.

Le président français, Emmanuel Macron, et le président de transition tchadien, Mahamat Idriss Déby, à l’Élysée, le 6 février 2023. © AFP – LUDOVIC MARIN

Pour que la démocratie des urnes prenne le pas sur la démocratie des armes, plusieurs conditions doivent être réunies notamment construire des institutions indépendantes et robustes qui peuvent garantir des élections libres et équitables, sensibiliser la population sur l’importance de la participation démocratique et des élections libres est essentiel pour changer la culture politique, la communauté internationale doit jouer un rôle plus proactif en soutenant les reformes démocratiques et en conditionnant l’aide à des progrès concrets en matière de gouvernance.

La prévalence de la démocratie des armes sur celle des urnes au Tchad est le résultat d’une combinaison de facteurs historiques, culturels, politiques et internationaux. Renverser cette tendance nécessitera un engagement soutenu à plusieurs niveaux pour bâtir un avenir où la volonté du peuple s’exprime librement et où les urnes remplaçant définitivement les armes.

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